La dénonciation par Mahamat-Saleh Haroun d’une audiodescription « totalement raciste » pour son prochain long-métrage a provoqué un choc au sein du milieu du cinéma. Ce n’est pas seulement une querelle technique ou une maladresse de studio : c’est un débat sur la manière dont les œuvres sont traduites, transmises et parfois déformées.
En pointant du doigt des choix d’écriture « marqués par un imaginaire suranné de l’Afrique », le cinéaste franco-tchadien met à nu un angle mort de l’industrie cinématographique : l’audiodescription n’est pas neutre, et une mauvaise écriture peut altérer profondément le sens d’un film.
Une écriture parallèle, souvent invisible
L’audiodescription est une écriture dans l’ombre, peu discutée publiquement. Pourtant, elle constitue une traduction narrative indispensable pour des milliers de spectateurs non-voyants.
Elle décrit l’action, les attitudes, les décors, les couleurs, les expressions faciales, c’est-à-dire tout ce que l’image porte en silence.
Dans le meilleur des cas, c’est un travail d’orfèvre.
Dans le pire, c’est une réinterprétation complète, parfois involontaire, parfois biaisée, qui ordonnance les images selon un prisme culturel, moral ou esthétique que l’auteur n’a jamais envisagé.
Mahamat-Saleh Haroun résume le problème sans détour :
« L’audiodescription que j’ai entendue fabriquait un autre film, nourri de clichés racistes. »
Quand les mots imposent un regard
Les termes utilisés dans une audiodescription ne sont jamais innocents.
Qualifier un décor, décrire une posture, évoquer un geste ou une émotion peut renforcer ou déconstruire des stéréotypes, selon le vocabulaire choisi.
Quelques exemples typiques de dérives — sans rapport direct avec le document incriminé, mais emblématiques des biais courants — montrent bien l’enjeu :
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remplacer « un quartier » par « un quartier défavorisé » alors que le plan ne le dit pas ;
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transformer « un homme observe » en « un homme aux traits menaçants observe » ;
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exotiser un décor africain par des expressions comme « ambiance sauvage » ou « couleurs tribales » ;
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attribuer des intentions psychologiques jamais formulées à l’écran.
Ces glissements, parfois subtils, suffisent à contaminer l’œuvre, car pour le public non-voyant, la voix de l’audiodescription est un guide absolu.
Elle ne montre pas le film : elle dit le film. Et ce qu’elle dit devient vérité.
Une déformation plus grave lorsqu’elle touche l’Afrique
Le problème soulevé par Haroun est d’autant plus sensible que l’Afrique est un continent sur lequel pèsent encore, dans l’imaginaire occidental, des couches de représentations héritées de l’histoire coloniale, de l’exotisme ou de la compassion mal placée.
Son cinéma, au contraire, s’efforce de filmer la dignité, la sobriété, la complexité des vies africaines, loin des clichés touristiques ou misérabilistes.
Qu’une audiodescription réintroduise les stéréotypes que son travail s’attache à défaire est vécu pour lui comme une forme de trahison artistique.
De plus en plus de cinéastes africains dénoncent ces mécanismes, qui persistent dans la communication, les affiches, les bandes-annonces, les dossiers de presse et désormais… les versions accessibles.
Une responsabilité culturelle encore sous-estimée
L’affaire révèle un manque de formation spécifique, de sensibilité culturelle et parfois simplement de contrôle éditorial de la part des sociétés qui produisent les audiodescriptions.
La plupart d’entre elles travaillent dans l’urgence, à flux tendu, avec des budgets limités.
L’écriture est souvent confiée à des personnes qui n’ont ni connaissance approfondie du film, ni échanges substantiels avec son auteur.
Pourtant, l’audiodescription n’est pas une option secondaire : c’est un mode d’accès à l’œuvre, comme les sous-titres, la traduction ou le doublage.
Et comme toute adaptation, elle peut renforcer ou dénaturer le sens initial.
Un appel à repenser la chaîne de création
La réaction rapide de Titrafilm, qui promet de réviser la version critiquée, est un premier pas.
Mais le débat ouvert par Haroun devrait pousser l’industrie à aller plus loin :
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intégrer les réalisateurs plus tôt dans le processus ;
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former les auteurs d’audiodescription à l'analyse des biais ;
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créer des chartes éthiques ;
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institutionnaliser une relecture culturelle ;
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considérer l’audiodescription comme un travail d’interprétation artistique à part entière.
Pour Haroun, cet épisode doit devenir l’occasion d’une remise à plat :
« L’audiodescription participe pleinement de l’identité d’un film. Elle doit respecter l’intention, la dignité et le regard du cinéaste. »
Son combat dépasse son œuvre : il pose une question fondamentale.
De quel droit un intermédiaire, parfois sans s’en rendre compte, réécrit-il ce qu’un film dit — ou ne dit pas ?

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